Par Nicolas Coutel
Chaque année, plusieurs dizaines de concepts voient le jour et se déploient dans une formule du commerce organisé indépendant, la franchise en tête. Désireux de commercialiser leur formule, leurs dirigeants souhaitent transmettre leur savoir-faire à leur futurs affiliés. Un savoir-faire que le Code Européen de Déontologie de la Franchise décrit comme devant être :
- Secret : Qui n’est pas généralement connu ou facilement accessible ;
- Substantiel : Qui est significatif et utile à l’affilié aux fins de l’utilisation, de la vente ou de la revente des biens ou des services contractuels ;
- Identifié : Qui est suffisamment complet et formalisé au sein d’un document dédié.
Pas si simple dans la pratique, surtout lorsque le concept démarre à peine. Passage en revue des enjeux et quelques recommandations pour s’en sortir (quasiment) tout seul.
1/ A quoi vous attendre ?
Le manuel opératoire ou « bible » du savoir-faire d’une enseigne est le support qui formalise les recettes à transmettre dans le cadre de l’exploitation d’une franchise. Si les enseignes bien établies ont un généralement un dispositif de bonne tenue, on oublie souvent ce avec quoi elles ont commencé et tout ce par quoi elles sont passées. Le jeune concept, lui, n’en est pas encore là : son savoir-faire reste limité, assez peu formalisé, mais il doit relever quelques défis :
- L’explicitation des connaissances : Les gestes et les recettes d’un réseau sont tout d’abord détenus à l’état « tacite » dans la tête des professionnels concepteurs, premiers exploitants ou pilotes…, avant de faire l’objet d’une formalisation afin de pouvoir être transmis à des tiers ;
- Le recul spontané : Comment un concept encore peu expérimenté sur son modèle peut-il formaliser son savoir-faire, alors que son jeune âge ne lui donne a priori pas le recul pour « génériser » ses recettes ?
- Le plancher du savoir-faire : A partir de quand, de combien et de quel niveau de précision transmet-on vraiment son savoir-faire ? Où se situe la jauge pour mettre en capacité d’exploitation son futur affilié et le rassurer ?
- La substance : Il ne suffit pas d’avoir un document, histoire de donner le change aux juges. Ce n’est pas tant l’absence de manuel opératoire que son indigence, ses insuffisances ou l’absence d’originalité de son contenu qui amènerait une juridiction à sanctionner un défaut de savoir-faire.
2/ Quel volume prévoir et comment structurer son premier manop ?
Les enseignes matures et au maillage étendu ont des manuels opératoires atteignant facilement l’équivalent de 300 à 500 pages. Ils sont la résultante d’une expérimentation collective et continue remontant parfois à plusieurs décennies. Si le jeune concept n’en est pas là, il reste assujetti à devoir documenter ses processus et le fonctionnement de ses premières unités. Ce qui implique un travail déjà conséquent, si l’on songe à tout ce qui fait fonctionner un point de vente, quel que soit le secteur :
- Confidentialité et cadre juridique
- Présentation de la marque et de l’équipe
- Formation et mise en route de l’entreprise franchisée
- Aspects techniques, exploitation et conformité
- Ressources humaines
- Gestion et administration
- Marketing et communication
- Ventes et performance commerciale
- Relation à l’enseigne et au réseau …
Plus qu’une bible d’un seul tenant, le manuel opératoire tient davantage d’une Dropbox puisqu’on lui annexe généralement d’autres documents : manuel des normes graphiques, charte architecturale, notice d’utilisation de logiciels, listing de fournisseurs …
3/ Quelle forme donner et sur quel support ?
Une fois « dans le rush », le franchisé comme ses collaborateurs sont rebutés à l’idée de lire des pages et des pages pour trouver leurs réponses. Ils veulent pouvoir accéder à l’essentiel et sous une forme incitative et ludique : les contenus peuvent prendre la forme de fiches pratiques, de mémos récapitulatifs, de check-lists, d’infographies, de schémas voire de tutos vidéo.
Mais sur quel support parier en première intention : statique (Word, Powerpoint) ou bien dynamique voire interactif (plateforme intranet, logiciel spécialisé…) ? Les experts prônent de plus en plus le recours à des solutions digitales, puisqu’elles correspondent à la façon dont nous consultons l’information aujourd’hui, privilégient la collaborativité et facilitent la mise à jour des contenus.
Mais avant de se lancer, de nombreux points sont à étudier de près comme le budget par franchisé, le niveau de sécurité et de confidentialité de l’outil, ou encore sa scalabilité. Et ne nous leurrons pas : le meilleur logiciel du monde ne sera qu’un cache-misère si le savoir-faire est imprécis, mal formalisé ou trop peu opérationnel.
4/ Du lacunaire à l’obsolescence programmée ?
Au lancement du réseau, le savoir-faire est lacunaire, insuffisamment décrit et documenté. Un jeune franchiseur dispose d’une expérience encore limitée, et manque de moyens pour rendre ses supports didactiques. Pourtant le dirigeant va devoir rassurer ses premiers investisseurs : ils prennent un vrai risque en misant sur lui alors que sa notoriété n’est pas encore installée. Il va donc devoir démarrer avec une première version de manuel qui, si elle nécessairement minimaliste, ne saurait être indigente.
Puis par le développement du réseau et l’intégration de nouveaux profils de franchisés, le savoir-faire se raffine et gagne en efficience. Par expérimentation continue on y apporte des corrections et des ajouts, on y intègre des découvertes mais on en abandonne aussi certains usages. Un sujet presque plus simple que pour un réseau ayant atteint 75 à 100 unités, dont le référentiel s’est considérablement enrichi, mais dont la gestion s’est compliquée et la dont documentation a pu se disperser, se disséminer.
5/ Quelles sont vos contraintes juridiques ?
L’obligation d’un manuel opératoire n’est pas limitée à la franchise même si c’est à cette formule que l’obligation de transmission d’un savoir-faire renvoie principalement. La bible du réseau comporte ensuite toujours une « clause de confidentialité », par laquelle le franchisé s’engage à ne pas divulguer le savoir-faire, ni à l’utiliser en dehors de la stricte évolution du contrat d’affiliation. Ce dernier, en outre, comporte le plus souvent une « clause d’évolution » précisant les conditions dans lesquelles ces évolutions sont adressées aux partenaires et appliquées par eux.
Enfin, avec la marque et l’assistance continue, le savoir-faire est l’un des trois piliers d’un contrat de franchise. Il lui donne sa cause, à telle enseigne qu’en vertu de l’article 1113 du Code civil, tout sérieux manque en la matière pourrait en entraîner la nullité. Bien sûr le risque reste faible pour une « graine de réseau ». Mais si elle ne s’efforce pas de formaliser un tant soit peu ses recettes, son contrat pourrait tomber dans l’insécurité et risquer à terme la requalification vers une autre formule contractuelle. Soit des conséquences financières très lourdes : remboursement des droits d’entrée, des redevances, des frais dépensés pour l’aménagement du local, voire l’allocation de dommages-intérêts complémentaires pour préjudice subi.
6/ Quels sont les efforts à consacrer ?
Même pour un jeune réseau, produire un manuel opératoire reste un projet demandeur :
- En ressources humaines : Le dirigeant ou l’un des salariés doit prendre le sujet à bras-le-corps : rassemblement du matériau, interview des référents par domaine et process (salariés, franchisés pilotes), mise en forme… Une fois la première version du manuel formalisée, il faut assurer une relecture interne et externe, idéalement mener quelques tests, avant de considérer le manuel comme réellement opérationnel ;
- En temps : Comptez 3 à 4 mois pour un premier manuel crédible, selon l’état du matériau disponible et le nombre de processus couverts ;
- En argent : Même si vous faites beaucoup par vous-mêmes, un consultant vous aidera à structurer le manop, à en balayer les « angles morts » et à bénéficier des bonnes pratiques du métier ou de votre secteur.
Jeune réseau résolu à commercialiser votre concept, pensez à :
- Rassembler au plus tôt tout ce qui décrit et documente déjà votre savoir-faire ;
- Consulter assez vite un expert pour cibler votre effort et gagner du temps ;
- Formaliser ce qui ne l’est pas encore, après interview de vos référents ;
- Privilégier Powerpoint pour votre première version et n’envisager les solutions interactives qu’en second temps ;
- Investir dans la mise en forme pour rassurer, et encourager la consultation et l’usage du futur manuel ;
- Raisonner logique de formation, en privilégiant la didactique (fiches pratiques, schémas…) ;
- Intégrer à votre support l’ensemble des obligations contractuelles ;
- Enfin, définir votre process de mise à jour puis d’amélioration continue de votre savoir-faire.
Vous lancez votre franchise et souhaitez rassurer vos premiers partenaires ?
Vous aimeriez produire un manop qui vous sécurise au plan juridique et vous mette le pied à l’étrier dans la gestion de votre savoir-faire ?
Forme, structures, contraintes juridiques… vous voulez une roadmap claire pour rassurer et vous engager dans un tel projet ?